Théâtre pour Noël, vol 1

Hérode et les commerçants

Contexte

La scène se déroule au temps de Jésus dans une rue marchande de Jérusalem, le jour de l'arrivée des mages dans la capitale. Nous sommes tôt le matin, et quelques commerçants installent leur stand avant l'arrivée des premiers clients.

 

Personnages

Benjamin

Jeune paysan juif qui vend ses produits au marché. Caractère: révolutionnaire, fougueux, sincère et droit.

Ruben

Joaillier juif bien établi dans la vie. Matérialiste et opportuniste, il cherche en priorité à rentabiliser son commerce.

Anne

Juive aveugle pleine de foi, de zèle, de sagesse et de bon sens. Elle surmonte les difficultés de la vie grâce à sa foi et subvient à ses besoins en vendant au marché des paniers qu'elle a confectionnés.

Siméon

Mendiant juif légèrement infirme. Il n'a pas trouvé de sens à la vie. Épave humaine, il se lamente constamment et dépend des autres.

Elisabeth

Amie d’Anne. Elle est vive et excitée. Son rôle est limité.

Décors et matériel

Un panneau, posé au croisement (imaginaire) de deux rues, indique deux directions. En grand on peut lire: via Augustus et via Hérodês. Les acteurs sont vêtus de robes rappelant le premier siècle. Le stand de Benjamin est composé d'une étagère et de cageots de fruits et de légumes, celui de Ruben est léger et facile à transporter; il consiste en une sorte de panneau vertical, sur lequel il peut rapidement accrocher quelques bijoux. Anne apporte quelques paniers en osier.

Mise en scène

Les stands de Benjamin et Ruben sont au fond de la scène. Si l'entrée est à droite de la scène, le stand de Benjamin est à l'extrême gauche, celui de son collègue dans la partie droite, mais assez proche du centre. Le panneau est juste à droite du stand de Ruben.

 

Acte 1

Introduction du narrateur

(Une fois le stand de Ruben et le panneau installés) Il y a deux mille ans, la Palestine vivait sous le joug des Romains. Depuis la conquête du pays par Pompée en 63 avant notre ère, les envahisseurs dirigeaient le pays par l'intermédiaire d'alliés locaux. Hérode le Grand avait su gagner la confiance des Romains grâce à la flatterie et à un dévouement aveugle à la cause de l'occupant. En récompense, l'empereur César Auguste lui avait accordé le titre de roi des Juifs. Assoiffé de gloire et de puissance, Hérode s'était lancé dans d'innombrables constructions majestueuses. Imitant autant que possible l'architecture romaine, il dédiait ses ouvrages aux occupants. Le peuple, écrasé par de lourds impôts, souffrait dans l'agonie. Seules les promesses lointaines des prophètes laissaient un espoir.

(La lumière s'éteint pour permettre à Benjamin d'entrer en scène. Dès qu'il est à sa place, la lumière se rallume. Benjamin sifflote ou chantonne en arrangeant son stand de fruits et légumes. Ruben arrive en portant un stand léger et l'installe à côté de l'écriteau marquant le croisement des deux rues, la «via Augustus» et la «via Hérodês»).

Ruben

Shalom Benjamin.

Benjamin

Shalom Ruben.

Ruben

Matinal, à ce que je vois. Ton stand est déjà installé.

Benjamin

Que veux-tu, il faut être prêt pour les premiers clients.

Ruben

Pas nombreux pour l'instant.

Benjamin

Vont pas tarder à venir.

Ruben

(Après une pause) Benjamin.

Benjamin

Voilà.

Ruben

Comment se fait-il que tu n'aies pas choisi la meilleure place pour ton stand?

Benjamin

Quelle meilleure place?

Ruben

Celle-ci (il montre l'endroit où il vient de s'installer). A l'angle des deux rues. D'ici tu profites d'un double trafic. Plus de gens te voient.

Benjamin

Je sais.

Ruben

Alors, pourquoi ne pas l'avoir choisie ce matin? Tu es arrivé le premier.

Benjamin

A cause de ça (il montre le panneau).

Ruben

Le panneau te gêne?

Benjamin

Il me donne la nausée. J'aime mieux prendre mes distances.

Ruben

Ah, je vois: les via Augustus et Hérodês te rappellent l'empereur et le roi.

Benjamin

C'est bien le but de ce panneau.

Ruben

Je connais tes opinions politiques, mais là tu exagères.

Benjamin

Peut-on jamais exagérer sa haine pour ces deux tyrans (il crache contre le panneau)?

Ruben

(Inquiet et regardant à gauche et à droite pour voir si personne est présent) Eh! oh! attention! tu vas t'attirer des ennuis.

Benjamin

Des ennuis, des ennuis. Depuis que les Romains sont là, on n'a que ça. Une taxe par ci, une taxe par là. Depuis l'arrivée de ces cochons, les impôts ont triplé, que dis-je, quadruplé.

Ruben

Doucement, Benjamin, doucement: on pourrait t'entendre.

Benjamin

M'entendre? Eh bien qu'on m'entende! Une petite révolution serait la bienvenue. On pourrait commencer par Hérode. Ce filou, ce traître (il crache contre le panneau). C'est un lèche-sandales. Il ferait tout pour plaire aux Romains. Regarde ce qu'il a fait de notre pays.

Ruben

(A voix basse) Je sais qu'on est loin de l'idéal, mais avec toutes les constructions qu'il a entreprises (plus jovial maintenant) le pays a pris belle allure.

Benjamin

Belle allure? N'oublie pas que, derrière chaque pierre érigée, il y a la souffrance d'un Juif. Ce genre de constructions ne fait que flatter l'orgueil de l'occupant. Hérode construit ce qui leur plaît: théâtres, bains publics, hippodromes, sans parler des temples à Jupiter et à l'empereur. Bien entendu, il imite leur style et quand tout est terminé, il leur dédie l'ouvrage. Combien de villes n'a-t-il pas déjà appelées Césarée? On se croirait bientôt à Rome.

Ruben

Et le temple de Dieu? C'est pour les Juifs qu'il l'a rénové.

Benjamin

Un baume pour nous amadouer, une pilule pour faire passer l'indigestion. Mais pour celui qui a les yeux en face des trous, sa combine ne prend pas.

Ruben

Il n'y a pas que les constructions. Hérode et les Romains ont rétabli l'ordre. Autrefois, c'était l'anarchie. Maintenant, l'ordre est rétabli; le commerce a repris. Tout le monde en bénéficie.

Benjamin

Une minorité. Avec les impôts, ils nous volent tous les bénéfices. On arrive à peine à nouer les deux bouts.

Ruben

Les impôts sont considérables, mais on peut parfois s'arranger.

Benjamin

Que veux-tu dire?

Ruben

Quelques cadeaux bien placés peuvent alléger ton fardeau.

Benjamin

Des cadeaux bien placés? Explique-toi.

Ruben

(Doucement) Les fonctionnaires, qu'ils soient Juifs ou Romains, aiment les cadeaux. Donne-leur quelque chose qu'ils apprécient, et ils seront prêts à fermer les yeux sur tes bénéfices réels.

Benjamin

La corruption quoi?

Ruben

C'est un grand mot. Parlons plutôt d'un arrangement à l'amiable.

Benjamin

Ton langage m'étonne, ton attitude aussi. Je te croyais plus droit.

Ruben

Parfois, il faut savoir faire quelques concessions à ses principes. Si tu m'écoutais, tu t'en porterais mieux.

Benjamin

Mieux? Pire, tu veux dire. Je préfère que les Romains volent mon argent que mes principes. Ton âme ne semble pas être précieuse à tes yeux. (Froid entre les deux amis. Ruben hausse les épaules, irrité).

 

Acte 2

(Après quelques instants, arrive Siméon. Ruben en profite pour détourner la conversation).

Ruben

Mais qui donc arrive? Notre ami Siméon. Comment vas-tu aujourd'hui?

Siméon

(Sur un ton misérable) Shalom.

Ruben

(Jovial et entraînant) Shalom, shalom, la paix soit avec toi. Il fait beau aujourd'hui, le soleil brille, les oiseaux chantent. Il faut profiter de la vie.

Siméon

(Ton incrédule) Profiter de la vie?

Ruben

Oui, il faut vivre, se réjouir.

Siméon

Se réjouir de quoi?

Ruben

De tout et de rien.

Siméon

C'est à dire?

Ruben

De la santé.

Siméon

C'est toi qui le dis.

Ruben

Plaît-il?

Siméon

C'est toi qui le dis. Tu as la santé, tu es encore jeune, mais moi, regarde-moi.

Ruben

(Embarrassé) Oui, oui, je sais, ce n'est pas facile, mais ce n'est pas une raison pour être déprimé. La vie offre bien des joies.

Siméon

Lesquelles?

Ruben

Le manger et le boire.

Siméon

C'est toi qui le dis.

Ruben

Plaît-il?

Siméon

C'est toi qui le dis. Tu as de l'argent pour vivre. Ce n'est pas le cas de tout le monde.

Ruben

Il faut être dynamique dans la vie, Siméon. Toi, tu te laisses abattre trop vite. La mendicité ne mène nulle part. Prends les choses en mains.

Siméon

C'est facile à dire.

Ruben

Allez, allez, ne te décourage pas. Tiens, je vais te donner quelque chose pour t'encourager. (Ruben tourne le dos, va à son comptoir chercher un peu d'argent. Siméon s'installe en face de lui. Ruben revient et est surpris de le voir assis en face de lui). Eh! que fais-tu là, Siméon? Tu ne peux pas t'installer ici.

Siméon

Pourquoi?

Ruben

Ça gênerait mes affaires. Je vise un certain… (il cherche le mot)… un certain standing. Mes clients aiment le luxe et un infirme en face de mon étalage risque de les éloigner. Tiens, voilà un sou pour t'encourager, mais va t'installer ailleurs. (Ruben aide et oblige Siméon à se relever. Résigné, Siméon se laisse faire).

Benjamin

(S'adressant à Ruben) Hypocrite sans coeur. Tu marches sur les petits comme Hérode.

Ruben

(Surpris, il reste sans réponse. Enfin il réplique) Impertinent.

Benjamin

Matérialiste.

Ruben

Tu regretteras un jour tes paroles.

Benjamin

Et toi ton inhumanité. (Siméon ne sait que faire). Viens ici, Siméon. Installe-toi en face de moi. Ta présence m'honore. Dieu est l'ami des pauvres et des malheureux. (Ruben et Benjamin se tournent le dos. Silence pesant. Chacun travaille à son stand).

 

Acte 3

(Bientôt on entend le bruit de canne d'un aveugle qui cherche son chemin. Arrive Anne. Elle porte plusieurs paniers).

Anne

Quelqu'un pour m'aider?

Benjamin

Oui. Ah! c'est Anne, Shalom.

Anne

Benjamin?

Benjamin

Pour te servir.

Anne

Shalom, Benjamin. Je suis bien à l'angle de la via Augustus et de la via Hérodês?

Benjamin

Oui. Tu viens vendre les paniers que tu as confectionnés?

Anne

Oui.

Benjamin

Ils sont magnifiques.

Anne

Merci, tu es gentil.

Benjamin

Tu veux m'en céder un contre quelques fruits et légumes?

Anne

C'est une bonne idée. Prends celui qui te plaît et donne-moi quelques oranges. Mes paniers se vendent à deux sous, mais puisque c'est toi, donne-moi des oranges pour un sou.

Benjamin

Pas question. Des oranges pour deux sous et quelques bananes, avocats et cacahouètes en prime. Siméon est déjà en face de moi, alors il faudra t'installer en face de Ruben

Anne

Shalom, Ruben; shalom, Siméon.

Siméon

Shalom.

Ruben

Shalom.

Anne

Je ne dérange pas ici?

Benjamin

(Rapidement et en martelant les mots) Absolument pas. Ruben est pour la paix à TOUT PRIX, alors il est en plein accord avec ton installation (En disant ces paroles, Benjamin remonte ses manches et se tourne vers Ruben, l'air menaçant).

Anne

Je ne comprends pas.

Benjamin

Aucune importance. Ruben a compris.

Anne

(Pause, puis) Sais-tu, Siméon, qui j'ai rencontré hier soir à la via Antipater?

Siméon

Non.

Anne

Rébecca, la femme de Matthias. Elle était venue depuis Bethléhem pour faire quelques achats à Jérusalem. (Puis sur un ton de confidence) Elle m'a dit que son mari est l'un des bergers qui a vu ces anges qui ont annoncé la venue du Messie.

Siméon

Matthias a vu des anges!

Anne

Les anges qui ont annoncé la naissance du Messie. Tu en as entendu parler?

Siméon

Oui, mais je n'avais pas pris cela au sérieux.

Anne

C'est très sérieux. Le Messie vient de naître. Nous sommes dans les derniers temps. Le rétablissement de toutes choses est proche.

Benjamin

Ne t'emballe pas trop vite. Connais-tu bien ce couple?

Anne

Ce sont d'excellents amis.

Benjamin

Peut-on leur faire confiance?

Anne

Entièrement. Je m'en porte garante. Matthias et Rébecca vivent d'une manière droite devant Dieu et devant les hommes.

Siméon

Et que t'a raconté Rébecca?

Anne

Qu'un soir, il n'y a pas si longtemps de ça, lorsque Matthias et ses amis étaient dans les champs à garder les troupeaux de moutons, un ange leur est brusquement apparu. Il leur a annoncé la naissance du Messie.

Siméon

A quoi ressemblait l'ange?

Anne

Je ne le lui ai pas demandé. Mais ce n'est pas tout: l'ange leur a aussi dit de se rendre à Bethléhem pour trouver le Messie nouveau-né dans une crèche.

Ruben

Dans une crèche!

Anne

Suite à cela, une multitude d'anges sont apparus et ont loué Dieu. Une fois les anges partis, Matthias et ses compagnons sont allés à Bethléhem et ont trouvé le bébé dans une crèche. Son nom est Jésus, ce qui signifie Sauveur.

Benjamin

Le Messie serait donc né!

Ruben

Le Messie, le Messie. Rien que ça. Votre histoire ne tient pas debout. Des anges sur la terre passe encore, mais le Messie dans une crèche! Alors là, vous vous égarez totalement. Enfin réfléchissez: si c'est le Messie, il ne naît pas dans une crèche. Un peu de dignité, un peu de respect pour Dieu. Permettrait-il que son oint naisse de cette manière? Une crèche, des bergers, ça sent le conte à plein nez.

Benjamin

(Se tourne vers Ruben d'un ton menaçant) Des bergers. T'aime pas les bergers?

Ruben

(Un peu intimidé, mais reprend vite de l'assurance) Je n'ai pas dit ça, mais enfin si le Messie devait venir, les grands de ce monde le sauraient. Ils viendraient lui rendre hommage, avec mille et un cadeaux. L'empereur Auguste lui-même, sans oublier Hérode. Pour moi, cette affaire des anges et de la naissance du Christ n'est qu'un coup monté.

Benjamin

Explique-toi.

Ruben

Depuis que l'affaire s'est répandue, tout le monde parle de Bethléhem. On parle de Bethléhem et… on y court. Quant aux commerçants du coin, ils se frottent les mains. Tous ces curieux font marcher les affaires. Les commerçants de Bethléhem sont malins. Qu'ils auraient tout manigancé ne m'étonnerait pas du tout. Comme promotion touristique, il n'y a pas mieux.

Anne

Et que fais-tu du témoignage de mes amis?

Ruben

On a dû savoir les convaincre (il se frotte le pouce et l'index pour faire penser à l'argent).

Anne

Ils sont au-dessus de tout reproche.

Benjamin

(En regardant Ruben) Tout le monde ne se laisse pas graisser la patte.

Ruben

Que mon explication soit bonne ou pas, peu importe. Ce qui est sûr, c’est que cette histoire est à dormir debout.

Benjamin

Moi, ce qui me chagrine est l'âge du Messie. S'il vient de naître, l'oppression des Romains et de Hérode risque de durer encore longtemps, plusieurs décennies.

Ruben

Et lorsque le Messie sera adulte, un des problèmes majeurs aura disparu: Hérode est un homme âgé et malade. (Plus doucement) Il n'en a plus que pour quelques mois, une année au plus.

Benjamin

La mort d'Hérode n'apportera aucune amélioration. Ses fils sont pires que lui. Et il ne fait aucun doute que l'un d'entre eux lui succédera.

Anne

Mes amis, vous vous égarez. Le Messie promis par Dieu ne viendra pas pour apporter un léger mieux. Il s'attaquera au problème fondamental de l'homme. La vie sera révolutionnée. Toute souffrance disparaîtra (elle se tourne vers Siméon). La mort sera vaincue.

Siméon

Je t'envie.

Anne

Comment cela?

Siméon

J'envie ta foi, j'envie ton espérance. Mon problème n'est pas tellement mon handicap. Il me sert d'excuse. D'ailleurs, Anne, tu nous montres bien qu'une infirmité n'est pas un obstacle insurmontable. Le bonheur ne dépend pas du domaine matériel qui ne peut offrir qu'une illusion de bonheur, n'est-ce pas, Ruben (Ruben sursaute)? Comme j'aimerais avoir une espérance solide. Ma vie n'a pas de sens.

Benjamin

Tu n'es pas le seul dans ce cas.

Siméon

(En regardant Ruben) Je le sais, mais c'est une maigre consolation.

Anne

Accrochez-vous aux paroles de Moïse et des prophètes. C'est la parole de Dieu. Tout ce qu'ils ont dit se réalisera tôt ou tard. Leurs paroles sont dignes de confiance.

Ruben

Mais les prophètes ont parlé il y a bien longtemps.

Anne

Oui, il y a quatre cents, cinq cents, six cents, sept cents ans et même plus.

Ruben

C'est bien là le problème.

Benjamin

Comment cela?

Ruben

Voilà bien longtemps que Dieu a promis ces choses et rien n'a changé depuis.

Anne

Ne sommes-nous pas dans les derniers temps?

Ruben

Depuis des siècles, on ne cesse de le répéter.

Anne

Aujourd'hui c'est différent. Des anges viennent d'annoncer la naissance du Messie.

Ruben

Cette histoire est farfelue. Il faut plus pour me convaincre. Si le Messie était né, il y aurait d'autres signes, et de plus grands signes.

 

Acte 4

Élisabeth

(Élisabeth arrive en courant; elle est tout essoufflée) Ça y est, je t'ai enfin trouvée, Anne. Sais-tu qui vient d'arriver au palais d'Hérode?

Anne

Qui?

Élisabeth

Des mages venus d'Orient. Ils disent être venus pour adorer le roi des Juifs qui VIENT DE NAITRE.

Anne

Qui vient de naître!

Élisabeth

Qui vient de naître. Ils disent aussi qu'ils ont été guidés par une étoile.

Anne

Une étoile!

Élisabeth

Une étoile les a précédés de leur pays jusqu'ici. Une grande foule est rassemblée devant le palais d'Hérode et attend la réaction du roi.

Anne

Quelle nouvelle formidable!

Élisabeth

Je te laisse. Je dois encore avertir papa et maman (départ d'Elisabeth).

Anne

(S'adressant à Ruben) Ruben, toi qui cherchais des confirmations.

Ruben

Doucement. Ce signe est TROP extraordinaire. Qui a déjà vu une étoile servir de guide d'une telle manière? On est en plein roman.

Siméon

Mais si Dieu agit, y a-t-il quelque chose de trop grand pour lui? Celui qui a créé les étoiles par une parole, ne peut-il pas commander à l'une d'entre elles de suivre une trajectoire particulière?

Anne

Si le Messie est né, ne serait-ce pas l'occasion de manifester sa venue d'une manière toute particulière? (S'adressant à Ruben) Tu voulais que des rois viennent l'adorer: des mages sont là et une étoile du ciel les a guidés.

Ruben

Oh! vous me fatiguez avec vos raisonnements. Moi, je veux vivre dans le présent. Et le présent, c'est que je perds mon temps parce que ces rues sont désertes. Tout le monde est rassemblé au palais d'Hérode (Ruben commence à démonter son stand). Si je déplace mon stand vers cette foule, je sens que je vais faire des affaires. Cette nouvelle de la naissance du Christ pourrait faire mon bonheur: plusieurs voudront sans doute offrir un cadeau à leur épouse ou à leurs amis pour célébrer cet événement. Pourquoi pas un petit collier? Je pourrais même augmenter mes prix pour l'occasion. Ah! ah! c'est ma journée, les affaires m'attendent.

Benjamin

Matérialiste.

Ruben

Tu te répètes. Maintenant tes paroles m'amusent. On se reverra bientôt… et je te parlerai de mes bénéfices. Une belle journée, je l'avais dit (En partant, il donne un sou à Siméon) Tiens, un petit sou pour les mendiants. Shalom, les amis (départ de Ruben).

Benjamin

Il me dégoûte. Du fric, c'est tout ce qu'il veut. C'est son dieu.

Siméon

Il en est l'esclave.

Anne

Laissez-le aller, il est aveugle.

Benjamin

Aveugle. Alors ça, c'est vrai. Il est aveugle et ne s'en rend même pas compte.

Anne

(Après une pause, elle reprend) Eh bien! si Ruben pense que ces événements sont faits pour réaliser des affaires, moi je pense qu'ils doivent nous pousser à la prière. Je vais de ce pas au temple pour louer Dieu. Mon coeur est débordant de joie et de reconnaissance (Anne ramasse ses affaires et part).

Benjamin

(Après une pause) Quelle matinée! Que faire? Où aller? Suivre Anne pour prier au temple? Je ne suis pas encore prêt. Si ce que j'ai entendu est vrai, alors c'est le plus grand jour de ma vie; et non seulement de la mienne, mais du monde entier. Le Messie serait né (rêveur et excité)! Mais avant de m'enthousiasmer, je vais vérifier une ou deux choses. Allons d'abord au palais d'Hérode pour écouter les mages, puis j'irai à Bethléhem pour discuter avec les bergers. Si tout cela est vrai, je veux en avoir le coeur net. L'enjeu est trop important. (S'adressant à Siméon) Écoute Siméon, il faut que je file en vitesse. Serais-tu d'accord de prendre soin de mon stand?

Siméon

Tu me ferais confiance! Tu crois que je pourrais faire cela?

Benjamin

J'en suis convaincu. Pas besoin de transporter le stand. Reste ici jusqu'à mon retour. Vends ce que tu peux. Ta douceur attirera les clients. A mon retour, on partagera les bénéfices: fifty-fifty. A l'avenir, peut-être pourrions-nous même collaborer. (En partant) Si tu as faim, sers-toi abondamment. Un ouvrier a droit à son salaire… et mes fruits et légumes sont excellents (Benjamin quitte la scène).

Siméon

(Siméon reste seul sur scène) Quelle journée! La tête me tourne. Pour la première fois de ma vie, quelqu'un me fait confiance. C'est quand même un chic type, ce Benjamin. Et Anne, si pleine de foi. J'ai comme l'impression que parmi nous tous, c'est elle qui voit le mieux. Je ne sais pas encore tout ce qu'il faut penser de cette nouvelle de la naissance du Messie, mais je constate qu'elle ne laisse personne indifférent. Anne est plus rayonnante que jamais, Benjamin s'est engagé dans une recherche des plus sérieuses, Ruben cherche à exploiter chaque minute pour augmenter ses profits. Quant à moi, il ne me reste plus qu'à choisir qui je veux suivre… (La lumière s'éteint).