Commentaire sur Elisée: Préface

Elisée est un homme unique en son genre. Aucun prophète n’a effectué autant de miracles que lui, d’une manière aussi étrange, avec autant de facilité. Elisée fait penser à un magicien qui accomplit toutes sortes de prouesses dans le seul but d’éblouir son public. Pourquoi faire flotter un fer de hache, alors qu’une simple collecte parmi les fils des prophètes aurait permis à l’ouvrier de rembourser l’outil égaré (2 R 6.5-7) ? Pourquoi montrer à un serviteur la présence des armées célestes, alors que celles-ci n’interviennent jamais dans le récit (2 R 6.17) ? Pourquoi aveugler les soldats ennemis et les livrer au roi d’Israël, pour ensuite les nourrir et les relâcher (2 R 6.18-23) ?

Les objets impliqués dans les prodiges accentuent encore l’impression « magique » des actes d’Elisée. Pourquoi demander du sel sur un plat neuf pour assainir une source d’eau (2 R 2.19-22) ? Pourquoi demander un joueur de harpe en plein désert au moment de consulter Dieu (2 R 3.15) ? Pourquoi se coucher de tout son long sur un cadavre pour lui redonner vie (2 R 4.34-35) ? Comment comprendre l’inefficacité du bâton posé sur le visage du petit garçon (2 R 4.29-31) ?

La facilité d’Elisée à résoudre les difficultés les plus variées étonne autant que la manière de les résoudre. Elisée ne connaît aucun échec, et les rares contretemps ne semblent en rien le troubler. Elisée connaît les secrets les mieux gardés de l’ennemi. Il annonce l’avenir et voit le monde invisible. Elisée survole le monde des humains.

Le fidèle reste perplexe devant Elisée. Quel enseignement peut-il tirer de cet être hors du commun ? Les leçons spirituelles ne sont pas évidentes, et ce n’est pas sans raison que les prédicateurs choisissent plus volontiers Elie qu’Elisée pour leurs homélies.

Les liens entre Elie et Elisée sont d’ailleurs étonnants eux aussi. D’une part, Elisée est le successeur d’Elie et lui ressemble de bien des manières. Par exemple, il partage les eaux du Jourdain comme Elie (2 R 2.8, 14) ; il multiplie des biens matériels et ressuscite l’enfant unique d’une femme qui l’a hébergé (2 R 4 ; cf. 1 R 17.14-24). D’autre part, Elisée est le contraire d’Elie. Ainsi, Elisée n’est pratiquement jamais importuné par le roi d’Israël (la seule fureur du roi étant vite résorbée : 2 R 6.31-32). Il n’a pas besoin de fuir, mais peut vivre au sein du peuple. Il n’est pas le prophète solitaire, mais le prophète social qui vit au milieu d’Israël. Il n’est pas un fugitif, mais il dispose d’une maison principale dans la capitale et d’une résidence secondaire à Sunem. Comment faut-il comprendre ce lien entre Elie et Elisée ? Pourquoi cette continuité et en même temps cette discontinuité ? La question est d’autant plus pressante que la succession prophétique entre les deux hommes est la seule de l’histoire d’Israël. Jamais avant et jamais après, un prophète n’a appelé son successeur. Pourquoi en est-il autrement pour Elie et Elisée ?

Les mystères relatifs à Elisée sont nombreux, mais ils se dénouent en grande partie, lorsque le ministère d’Elisée est vu à la lumière de celui du Messie. Elisée annonce de manière typologique le ministère de Jésus-Christ. Ainsi, Elie annonce Jean-Baptiste et représente les prophètes de l’Ancien Testament au mont de la Transfiguration, et Elisée annonce le Nouveau Testament. Le premier est coloré par la justice vétéro-testamentaire, et le second irradie la grâce néo-testamentaire. Le lien entre Elie et Elisée est caractéristique des liens qui unissent et séparent l’Ancien et le Nouveau Testament.

 

Ce commentaire fait suite à celui sur Elie : Elie entre le jugement et la grâce, commentaire de 1 Rois 17 à 2 Rois 2. Les deux livres se complètent, mais sont néanmoins indépendants. Chacun se suffit à lui-même. Quelques répétitions ont été nécessaires. Parfois un renvoi permet au lecteur d’approfondir une matière développée dans le premier ouvrage. Les parallélismes entre les deux prophètes sont surtout développés dans cet ouvrage, car le ministère d’Elisée se définit en partie par rapport à celui de son prédécesseur.

Le commentaire est précédé de deux chapitres qui développent les caractéristiques d’Elisée et le contexte de son ministère. En annexe se trouvent un commentaire condensé du récit de la fin de la maison d’Achab (2 R 9-10), une analyse de la péricope relative à la mort d’Elisée (2 R 13.14-21), une étude de l’influence d’Elisée sur les auteurs du Nouveau Testament.