Elisée successeur d’Elie (2 Rois 2.1-18)

Le récit de « l’enlèvement d’Elie » tourne fondamentalement autour du lien unissant Elie à Elisée. Dès les premiers mots de 2 R 2, le narrateur annonce l’enlèvement d’Elie : « Lorsque l'Eternel fit monter Elie au ciel dans un tourbillon… » (v. 1). Ce faisant, il écarte tout suspense attaché au sort d’Elie. Cette entrée en matière étonne, car le narrateur s’est efforcé, dans le cycle d’Elie, d’entourer le prophète d’une aura de mystère. Chaque pas du prophète était imprévisible. Elie lui-même vivait au jour le jour, ne sachant souvent pas de quoi le lendemain serait fait. Avec le récit de son enlèvement tout change.

Dans ce récit, Elie cesse d’être le personnage principal, d’abord parce qu’il quitte la scène terrestre, et ensuite parce qu’il laisse son ministère à un homme qui sera oint d’une double onction de l’Esprit et qui le fera donc rapidement oublier. L’auteur renforce cette mise à l’écart dans les faits par sa manière de raconter l’événement. L’intrigue de la narration tourne autour d’Elisée et non d’Elie.

La suite du récit confirme cette impression. L’événement de l’enlèvement est connu de tous : les fils des prophètes de Béthel et les fils des prophètes de Jéricho sont informés du départ d’Elie et le répètent à Elisée, qui connaît, lui aussi, la nouvelle (2 R 2.3-5). Par contre l’envergure du ministère d’Elisée reste une énigme jusqu’au bout.

Dans un premier temps, Elie veut se séparer de son serviteur, mais Elisée refuse solennellement. L’échange verbal entre les deux hommes se répète trois fois (2 R 2.2, 4, 6). Le lecteur peut s’interroger sur la raison du renvoi d’Elisée. Celui-ci aurait-il déplu à son maître ? L’insistance d’Elisée à suivre Elie suscite aussi des questions. Pourquoi vouloir accompagner Elie à tout prix ? Pourquoi lui désobéir ? Cette désobéissance sera-t-elle sanctionnée par Elie, car dans le passé, deux prophètes avaient été frappés de mort pour avoir été infidèles (1 R 13.21-24 ; 20.35-36) ? De manière étonnante, c’est l’inverse qui se produit, puisque Elie propose tout à coup de récompenser Elisée par l’offre la plus généreuse qu’on puisse faire. Elie signe un chèque en blanc : « Demande ce que tu veux que je fasse pour toi avant que je sois enlevé d’avec toi » (2 R 2.9).

La réponse d’Elisée concerne son ministère. Il désire avoir une double portion de l’esprit d’Elie. Comment faut-il comprendre cette demande ? Elisée veut-il être le digne successeur d’Elie ou veut-il le dépasser ? Comment se manifestera l’Esprit en Elisée ? Quelles similitudes et quelles différences pourra-t-on observer ? Le narrateur soulève aussi une autre interrogation, qui n’est pas liée au sens de la requête, mais à son exaucement. Elisée peut-il recevoir ce qu’il demande ? Elie lui-même ne le sait pas. Il faudra attendre jusqu’au départ d’Elie pour être fixé : « Si tu me vois pendant que je serai enlevé d'avec toi, cela t'arrivera ainsi ; sinon, cela n'arrivera pas » (2 R 2.10). L’intrigue tourne ainsi autour des conditions de l’enlèvement et non de l’enlèvement lui-même. Le narrateur oriente l’attention sur la succession entre Elie et Elisée.

Elisée voit son maître monter au ciel, reçoit son manteau et opère le même miracle qu’il vient de voir se réaliser. Il sépare les eaux du Jourdain à la vue des fils des prophètes et prouve ainsi être le digne successeur d’Elie. Le serviteur a suivi son maître jusqu’au bout et opère maintenant les mêmes miracles que lui.

Le récit de l’enlèvement d’Elie est donc fondamentalement centré sur Elisée. Elie y tient néanmoins un rôle important. Sur le plan structurel, le récit s’intègre parfaitement aux deux cycles : celui d’Elie (voir Elie entre le jugement et la grâce, p. 61) et celui d’Elisée (voir p. 43). Nous avons donc choisi de commenter ce récit aussi bien dans le livre sur Elie et dans le présent ouvrage sur Elisée. L’analyse détaillée des versets 1 à 14 est presque identique dans les deux livres (p. 187-195 sur Elie et p. 53-61 sur Elisée).

 

Les versets 2 à 18 forment un chiasme élaboré.

 

A.1

Dialogues entre Elisée et les fils des prophètes sur le départ d’Elie (2.2-6)

 B.1

Présence de cinquante fils de prophètes au bord du Jourdain (2.7)

  C.1

Elie partage les eaux du Jourdain (2.8)

   D.1

Elisée désire être le successeur d’Elie (2.9)

    E.1

Elisée devra voir Elie partir pour être son successeur (2.10)

     F

Elie et Elisée séparés par le char et les chevaux de feu (2.11)

    E.2

Elisée voit Elie partir (2.12)

   D.2

Elisée ramasse le manteau d’Elie (2.13)

  C.2

Elisée partage les eaux du Jourdain (2.14)

 B.2

Présence de cinquante fils des prophètes au bord du Jourdain (2.15)

A.2

Dialogues entre Elisée et les fils des prophètes sur le départ d’Elie (2.16-18)

 

Elisée insiste pour suivre Elie (2.1-6)

1 Lorsque l'Eternel fit monter Elie au ciel dans un tourbillon, Elie partait de Guilgal avec Elisée.

2 Elie dit à Elisée : Reste ici, je te prie, car l'Eternel m'envoie jusqu'à Béthel. Elisée répondit : L'Eternel est vivant et ton âme est vivante ! je ne te quitterai point. Et ils descendirent à Béthel. 3 Les fils des prophètes qui étaient à Béthel sortirent vers Elisée, et lui dirent : Sais‑tu que l'Eternel enlève aujourd'hui ton maître au-dessus de ta tête ? Et il répondit : Je le sais aussi ; taisez-vous.

4 Elie lui dit : Elisée, reste ici, je te prie, car l'Eternel m'envoie à Jéricho. Il répondit : L'Eternel est vivant et ton âme est vivante ! je ne te quitterai point. Et ils arrivèrent à Jéricho. 5 Les fils des prophètes qui étaient à Jéricho s'approchèrent d'Elisée, et lui dirent : Sais-tu que l'Eternel enlève aujourd'hui ton maître au-dessus de ta tête ? Et il répondit : Je le sais aussi ; taisez-vous.

6 Elie lui dit : Reste ici, je te prie, car l'Eternel m'envoie au Jourdain. Il répondit : L'Eternel est vivant et ton âme est vivante ! Je ne te quitterai point. Et ils poursuivirent tous deux leur chemin.

Elie va être enlevé au ciel, mais son départ ne met pas un terme à toute son œuvre. Un successeur poursuivra son ministère, tout en lui donnant une nouvelle orientation. Le récit de « l’enlèvement d’Elie » est aussi le récit de « l’envoi d’Elisée ». Le texte s’intéresse aux deux prophètes et les met face à face pour mieux souligner les liens et les contrastes entre les deux hommes.

Dès l’annonce du départ d’Elie (v. 1), Elisée réapparaît (v. 1). L’homme avait été introduit en 1 R 19.15-21, mais avait aussitôt disparu de la narration. D’autres prophètes en dehors d’Elie étaient intervenus, mais le nom d’Elisée n’avait plus été mentionné. Ce n’est qu’avec le départ d’Elie qu’Elisée peut entrer en action. Si Horeb situe l’appel d’Elisée, le Jourdain marque son envoi.

Le rapport entre les deux hommes est ambigu. Elie demande à Elisée de ne pas l’accompagner, ni à Béthel, ni à Jéricho, ni au-delà du Jourdain, et chaque fois celui-ci répond, solennellement (« l’Eternel est vivant et ton âme est vivante » v. 2, 4, 6), qu’il le suivra jusqu’au bout (« Je ne t’abandonnerai pas »). Elie veut-il vraiment être seul au moment de son enlèvement ? Tient-il à ce qu’Elisée le quitte ? Dans ce cas, pourquoi autorise-t-il Elisée à le suivre ? Pourquoi celui-ci est-il même récompensé par une double onction de l’Esprit (2 R 2.9-10) au lieu d’être puni pour sa « désobéissance » ? Manifestement, Elie n’attendait pas le départ d’Elisée. Les fils des prophètes avaient d’ailleurs indiqué que l’enlèvement se ferait « au-dessus de la tête d’Elisée » (v. 3, 5), confirmant ainsi la nécessité de la présence d’Elisée à ce moment-là. Elie veut-il alors mettre Elisée à l’épreuve pour voir à quel point celui-ci lui est attaché ? Dans la vie, certaines choses n’ont de valeur que dans la mesure où elles sont offertes librement. Elisée a été appelé au ministère prophétique, mais ce ministère n’est pas aisé. Elisée sera-t-il prêt à aller aussi loin que son maître ? Elie le souhaite, mais ne peut pas l’imposer.

Elisée est profondément attaché à son maître. Son désir de le suivre est l’expression de son affection. Il sait qu’Elie ne souhaite pas vraiment son départ, et l’enlèvement de son maître lui fait de la peine. Aux fils des prophètes qui rappellent le départ d’Elie, il demande de se taire pour ne pas remuer le couteau dans la plaie.

La triple réitération des rapports existant entre Elie et Elisée attire l’attention du lecteur sur cette relation. L’insistance évoque aussi le thème de la « répétition ». Elisée succédera à Elie. Il poursuivra le ministère commencé, tout en le dotant d’une nouvelle orientation. La relation entre les deux hommes est significative, car elle illustre la convergence de leurs ministères. Les deux vocations sont différentes, mais témoignent néanmoins d’une unité profonde. Elie est prioritairement le prophète du jugement, mais son ministère reflète aussi la grâce. Or, le ministère d’Elisée est essentiellement celui de la grâce. Elisée ne contredit pas Elie, mais développe l’aspect effacé du ministère de son prédécesseur.

La relation entre les deux hommes souligne aussi leur caractère. Elie est le prophète solitaire qui aspire à la solitude. Par contre, Elisée est l’homme social (voir p. 16-18). Il regrette le départ du maître et veut rester avec lui aussi longtemps que possible. Les fils des prophètes n’ont pas de contact avec Elie, qu’ils craignent peut-être. Par contre, ils interpellent deux fois Elisée, et celui-ci leur répond. Certes, il leur demande de se taire (v. 3, 5), mais ce n’est pas pour couper tout contact. Elisée sait que les fils des prophètes ressentent sa peine de voir partir Elie, et il leur demande de ne pas trop parler de cet événement pour ne pas le faire souffrir davantage.

L’identité des « fils des prophètes » a fait couler passablement d’encre. On parle souvent d’écoles de prophètes ou de communautés de prophètes. Peut-être s’agit-il simplement de communautés de fidèles. On parlerait aujourd’hui d’« églises de maisons » pour représenter ceux qui, insatisfaits du courant officiel, se retrouvent en dehors des structures ecclésiales, pour vivre et célébrer leur foi. N’oublions pas que dans le royaume du nord, le culte officiel, centré autour des autels de Béthel et de Dan, était largement corrompu. Ces fils des prophètes n’exerçaient peut-être pas une activité prophétique particulière, mais suivaient fidèlement l’enseignement des prophètes. Les fils des prophètes sont informés du départ d’Elie, mais cette nouvelle pouvait leur avoir été communiquée antérieurement par Elisée. Ces hommes rappel­leraient alors au prophète l’imminence du départ d’Elie.

Le parcours géographique est signalé avec précision. De Guilgal, Elie « descend » (v. 2) à Béthel (situé à plus 800 m. au-dessus du niveau de la mer), puis de Béthel, il se rend à Jéricho (situé à 300 m. au-dessous du niveau de la mer), puis de Jéricho, il va au bord du Jourdain (environ 400 m. au-dessous du niveau de la mer), puis il descend dans le lit du Jourdain, pour traverser la rivière à sec. Le mouvement descendant est manifeste. Il est suivi d’un double mouvement ascendant : Elie est élevé au ciel et Elisée parcourt partiellement le chemin inverse (lit du Jourdain, Jéricho, Béthel).

Guilgal n’est pas la ville située dans la plaine du Jourdain, près de Jéricho, puisque les deux prophètes descendirent à Béthel. Il s’agit plutôt de la localité située à 12 kilomètres au nord de Béthel, sur la route de Silo (Jos 9.6).

A côté de la dimension géographique, faut-il voir dans la mention des trois villes une dimension symbolique ? Mais laquelle ? Guilgal, Béthel et Jéricho étaient des noms associés à la conquête du pays du temps de Josué (Jos 2-8), mais aussi des villes marquées par le péché, puisque Béthel était le lieu d’un autel impur (1 R 12.28-29 ; 13.1-5), Jéricho une localité dévouée par interdit par Josué (Jos 6.26 ; 1 R 16.34), et Guilgal un lieu de prostitution (Os 9.15 ; Amos 4.4). Elie traverse-t-il une dernière fois des villes impures avant de monter vers son Dieu ou choisit-il ce parcours pour symboliser une nouvelle conquête de la Terre promise, une « terre » qui se trouve dans le ciel ? La suite du récit appuie la seconde hypothèse, puisque Elie traverse le Jourdain, à sec, comme Josué l’avait fait dans le passé.

Elie s’ouvre une voie vers la terre promise (2.7-8)

7 Cinquante hommes d'entre les fils des prophètes arrivèrent et s'arrêtèrent à distance vis-à-vis, et eux deux s'arrêtèrent au bord du Jourdain. 8 Alors Elie prit son manteau, le roula, et en frappa les eaux, qui se partagèrent çà et là, et ils passèrent tous deux à sec.

Dans la mémoire juive, la traversée du Jourdain est associée à la conquête du pays promis. Elie traverse la rivière, mais en sens inverse, indiquant par là une espérance différente de celle réalisée autrefois. Josué était entré dans un pays « terrestre », alors qu’Elie monte dans le royaume céleste. Josué avait conquis le territoire avec son peuple, alors qu’Elie pénètre dans le royaume divin, seul et sans combattre.

Elie rappelle aussi Moïse qui avait lui-même quitté un pays d’oppression (l’Egypte) en séparant les eaux de la mer Rouge. Moïse avait levé son bâton et étendu sa main (Ex 14.16), alors qu’Elie frappe les eaux de son manteau. Le manteau roulé fait penser au bâton de Moïse et d’Aaron, si souvent utilisé pour des miracles. A la fin de leur vie terrestre, le corps des deux hommes disparaît mystérieusement à l’est du Jourdain (Dt 34.5-6 ; 2 R 2.12-18).

Le fait que le miracle est attesté par des témoins est important pour la suite. Les cinquante fils des prophètes pourront confirmer qu’Elisée est le digne successeur d’Elie, lorsqu’il accomplira le même geste.

Elie offre un héritage à Elisée (2.9-10)

9 Lorsqu'ils eurent passé, Elie dit à Elisée : Demande ce que tu veux que je fasse pour toi, avant que je sois enlevé d'avec toi. Elisée répondit : Qu'il y ait sur moi, je te prie, une double portion de ton esprit ! 10 Elie dit : Tu demandes une chose difficile. Mais si tu me vois pendant que je serai enlevé d'avec toi, cela t'arrivera ainsi ; sinon, cela n'arrivera pas.

L’offre d’Elie est royale. Elle témoigne de la satisfaction d’Elie avec Elisée. Jamais dans le passé, il n’avait offert la moindre chose et voilà qu’il offre « ce que tu veux que je fasse pour toi ». Aucune limite n’est fixée à la proposition. Le présent rappelle l’offre de l’Eternel à Salomon au début de son règne : « Demande ce que tu veux que je te donne » (1 R 3.5). En hébreu, les deux phrases sont formées de quatre mots, et seul le verbe change. L’Eternel propose de donner et Elie de faire. Salomon avait fait le bon choix en demandant la sagesse. Qu’en est-il d’Elisée ?

« Pour Elisée, ce ne sont pas la terre et les biens matériels qui sont en vue, mais l’Esprit, car Elisée a déjà laissé derrière lui la vie normale et les règles normales d’héritage. » Il demande une double portion de l’esprit d’Elie. Désire-t-il dépasser Elie ou simplement recevoir la part d’héritage du fils aîné, qui était le double de celle des autres fils (cf. Dt 21.17) ? L’unité entre les deux hommes et la spiritualité d’Elisée écartent toute idée de rivalité. Elisée désire marcher sur les traces de celui qui l’a appelé dans le passé (1 R 19.19-21). Cherche-t-il la puissance, la sainteté ou la consécration ? Il connaît les exigences du ministère et ses propres limites. Sans l’aide de l’Eternel, il sait qu’il ne pourra pas accomplir correctement sa tâche.

« Tu demandes une chose difficile. » Marcher sur les traces d’Elie n’est pas donné au premier venu. Elie pose une condition à l’accomplissement du vœu : « Si tu me vois pendant que je serai enlevé d’avec toi. » Pourquoi une telle condition ? La proposition d’Elie était inconditionnelle (« demande ce que tu veux »), car il veut lui laisser ce qu’il a de meilleur ; mais ce qu’Elisée demande, Elie ne peut pas l’accorder de lui-même. Dieu est souverain dans le domaine de l’appel prophétique, et lui seul peut répondre à une telle demande. Elie sait qu’au mont Horeb, l’Eternel a désigné Elisée pour le remplacer, mais Elisée aura-t-il une double portion de l’Esprit ? Sera-t-il un prophète du niveau d’Elie ou supérieur à lui ? Dieu seul le sait. L’Eternel peut donner cependant un signe et ce signe doit symboliser plusieurs choses.

Premièrement, sur le plan humain, il faut qu’Elisée suive Elie jusqu’au bout, jusqu’au moment de l’enlèvement. Cela illustrera (ou symbolisera) l’attachement d’Elisée à Elie. Elisée doit être prêt à agir comme son prédécesseur. Le ministère d’Elie doit être repris et développé.

Deuxièmement, Elisée doit voir Elie monter au ciel. Cela signifie non seulement qu’il sera physiquement présent au moment de l’enlèvement, mais qu’il aura un discernement des choses cachées. Son ministère touchera au monde invisible, à l’espérance des fidèles, à l’héritage que Dieu leur réserve dans l’au-delà.

Troisièmement, le ministère d’Elisée sera marqué par la vue. Il verra Elie monter au ciel, mais il verra aussi beaucoup d’autres choses. Elisée connaîtra tout, au point de dévoiler toutes les embuscades des Syriens. Il sera aussi capable de donner la vue ou de la voiler. A Dothan, son serviteur verra les armées célestes, alors que les soldats syriens seront aveuglés (2 R 6.8-23). Elisée sera le prophète des signes, car une grande partie de son ministère sera traitée de manière visuelle.

Le ministère d’Elisée semble supérieur à celui d’Elie (en est-il le double ?) car Elisée dévoile l’espérance des saints, et en particulier la venue du Messie. L’attachement d’Elisée à Elie annonce les liens qui unissent le Nouveau Testament à l’Ancien : un attachement profond, total, mais aussi un renouvellement centré sur la grâce.

L’enlèvement d’Elie (2.11-14)

11 Comme ils continuaient à marcher en parlant, voici, un char de feu et des chevaux de feu les séparèrent l'un de l'autre, et Elie monta au ciel dans un tourbillon. 12 Elisée regardait et criait : Mon père ! mon père ! Char d'Israël et sa cavalerie ! Et il ne le vit plus. Saisissant alors ses vêtements, il les déchira en deux morceaux, 13 et il releva le manteau qu'Elie avait laissé tomber. Puis il retourna, et s'arrêta au bord du Jourdain ; 14 il prit le manteau qu'Elie avait laissé tomber, et il en frappa les eaux, et dit : Où est l'Eternel, le Dieu d'Elie ? Lui aussi, il frappa les eaux, qui se partagèrent çà et là, et Elisée passa.

L’homme, dont la vie a été constamment menacée, finit par quitter ce monde sans mourir. L’expérience d’Elie est particulière, mais elle est riche d’enseignements généraux. Le départ d’Elie au ciel montre que la vie humaine ne se limite pas à la terre. Il y a une autre vie, ailleurs, dans la présence de Dieu. L’espérance du fidèle ne doit donc pas se restreindre aux choses terrestres. L’enlèvement d’Elie préfigure l’enlèvement des chrétiens lors du retour du Christ (cf. 1 Th 4.15-17). Ce verset est au centre de 1-2 Rois (voir p. 46, 47, 47, 53).

Un char et des chevaux de feu interviennent. Ils servent probablement au transport d’Elie. Le prophète, qui avait refusé de monter sur le char royal d’Achab pour ne pas s’associer au pécheur (1 R 18.45-46), est maintenant transporté dans le char divin. L’homme, qui refusait le compromis qui l’aurait honoré devant les hommes, est honoré par Dieu à la fin de sa vie terrestre. « Le char était l’instrument militaire le plus puissant du monde ancien et symbolisait, par conséquent, l’incomparable puissance de Dieu. » Quant au tourbillon, il symbolise les forces naturelles contrôlées par Dieu. Le monde naturel et le monde surnaturel sont impliqués dans l’enlèvement d’Elie.

 « Déchirer ses vêtements » est un geste souvent rapporté dans l’Ecriture. Il symbolise généralement le deuil et la consternation. Dans le livre des Rois, quatre rois et une reine le font : Achab (1 R 21.27), Yoram deux fois (2 R 5.8 ; 6.30), Athalie (2 R 11.14), Ezéchias (2 R 19.1), Josias (2 R 22.11). Ici, le geste indique plutôt la fin d’une époque et le début d’une nouvelle. Elisée reprend le manteau laissé par Elie pour indiquer qu’il poursuivra son ministère. Ce manteau avait déjà été jeté sur ses épaules lors de son premier appel (1 R 19.19).

Sitôt le manteau ramassé, Elisée traverse le Jourdain à la vue des fils des prophètes qui reconnaissent que « l'esprit d'Elie repose sur Elisée ! » Ce premier miracle rappelle l’acte par lequel Josué a été élevé aux yeux du peuple, après la mort de Moïse (Jos 4.14). Lui aussi a traversé le Jourdain pour entrer dans la Terre promise près de Jéricho. Les noms des deux hommes ont un même sens. Josué signifie « Yahweh sauve » et Elisée : « Dieu sauve ». Or le nom de Jésus a aussi le même sens puisqu’il est dérivé de « Josué ». Ainsi, aux trois précurseurs (Moïse, Elie et Jean-Baptiste) succèdent trois hommes dont le nom annonce leur ministère de rédempteur. Les trois rédempteurs sont élevés publiquement au Jourdain au début de leur ministère. Josué et Elisée traversent le Jourdain, alors qu’une voix céleste témoigne lors du baptême de Jésus au Jourdain qu’il est le Fils bien-aimé (Mt 3.13-17 ; Mc 1.9-11 ; Lc 3.21-22 ; Jn 1.32-34). Pour résumer, on peut dire qu’Elie rappelle Moïse et annonce Jean-Baptiste (voir Elie entre le jugement et la grâce, p. 39-42 et p. 49-54), de même qu’Elisée rappelle Josué et annonce Jésus-Christ.

Le premier miracle d’Elisée est suivi de beaucoup d’autres. Elisée peut commencer son ministère maintenant qu’Elie est parti, comme, plus tard, Jésus commencera son ministère galiléen dès l’arrestation de Jean-Baptiste.

Au sujet du lien unissant Elie et Elisée, notons encore que les deux hommes font le même geste à la vue des fidèles pour traverser le Jourdain, mais qu’Elisée ouvre le Jourdain pour le traverser en sens inverse, indiquant par là un ministère du même ordre, mais en même temps différent. Elie est le prophète caractéristique de l’Ancien Testament – n’incarne-t-il pas les prophètes de l’Ancien Testament au mont de la Transfiguration ? Elisée par contre incarne le Nouveau Testament, Jésus-Christ en particulier, car son ministère est fait essentiellement de grâce. Ses miracles et ses signes ouvrent une fenêtre vers l’espérance glorieuse du Messie.

Confirmation de l’enlèvement d’Elie (2.15-18)

15 Les fils des prophètes qui étaient à Jéricho, vis-à-vis, l'ayant vu, dirent : L'esprit d'Elie repose sur Elisée ! Et ils allèrent à sa rencontre, et se prosternèrent contre terre devant lui. 16 Ils lui dirent : Voici, il y a parmi tes serviteurs cinquante hommes vaillants ; veux-tu qu'ils aillent chercher ton maître ? Peut-être que l'Esprit de l'Eternel l'a emporté et l'a jeté sur quelque montagne ou dans quelque vallée. Il répondit : Ne les envoyez pas. 17 Mais ils le pressèrent longtemps ; et il dit : Envoyez-les. Ils envoyèrent les cinquante hommes, qui cherchèrent Elie pendant trois jours et ne le trouvèrent point. 18 Lorsqu'ils furent de retour auprès d'Elisée, qui était à Jéricho, il leur dit : Ne vous avais-je pas dit : N'allez pas ?

La double traversée du Jourdain s’est faite devant témoins. Les fils des prophètes ont la preuve qu’Elisée est le successeur d’Elie. Ces hommes restent pourtant confus au sujet de l’ascension d’Elie. Pourquoi veulent-ils chercher le corps d’Elie ? Doutent-ils que le prophète soit réellement monté au ciel ou pensent-ils qu’il est parti seulement en esprit, mais que son corps est resté sur la terre ? Dans ce cas, il faudrait retrouver le corps et l’enterrer rapidement pour ne pas l’exposer au déshonneur.

Le dialogue entre Elisée et les fils des prophètes, à la fin de cette section, rappelle le dialogue entre Elie et Elisée, au début du chapitre. Dans les deux cas, des hommes argumentent avec leur maître. Mais là s’arrêtent les ressemblances. Elisée ne veut pas se séparer de son maître, alors que les fils des prophètes demandent la permission de partir retrouver le corps de celui qui a disparu. Elisée désobéit à Elie (puisqu’il ne le quitte pas), mais il fait néanmoins ce qui lui plaît. Par contre, les fils des prophètes obéissent à Elisée (ils ne partent que lorsqu’ils en reçoivent la permission), mais ils font quand même ce qu’Elisée désapprouvait (« Ne vous avais-je pas dit : N'allez pas ? » 2 R 2.18). Elisée savait qu’Elie était monté au ciel, non seulement en esprit, mais en chair et en os.

L’attitude d’Elisée envers les fils des prophètes montre sa compassion. Puisque ces hommes sont sceptiques, Elisée leur permet de vérifier la réalité de l’ascension. Ils découvriront par la même occasion que la parole du nouveau prophète est entièrement digne de confiance, comme l’était celle de son prédécesseur.