Trois années de sécheresse: 1 Rois 17

Le contexte littéraire

L’histoire d’Elie bouleverse et dynamise la narration du livre des Rois. En effet, les deux chapitres précédents (1 R 15–16) rapportent des informations squelettiques sur huit rois. L’auteur communique au lecteur quelques données techniques (nom du roi, durée du règne, évaluation morale du roi, lieu de sépulture), parfois une anecdote (en particulier la guerre entre les deux royaumes : 1 R 15.16-22). Ces deux chapitres sont ternes et sans relief.

Le seul élément de ces résumés digne d’être médité concerne la justice divine. Bien que tous les rois reçoivent une évaluation négative (excepté Asa), aucun n’est puni pour son péché. Abiyam de Juda évite le jugement à cause de la justice de David son ancêtre (1 R 15.4-5). Asa de Juda fait le bien, et n’a pas lieu d’être puni. Nadab d’Israël est victime d’une conspiration et sa maison est massacrée en raison du péché de son père Jéroboam (1 R 15.29-30). Baécha d’Israël est informé de la prochaine disparition de sa maison (1 R 16.3-4). Ela, fils de Baécha, est victime d’un complot et sa maison est anéantie selon la parole annoncée à son père (1 R 16.12-13). Zimri d’Israël se suicide et se punit lui-même (1 R 16.18-19). Omri d’Israël fait plus de mal que ses prédécesseurs, mais ne reçoit aucune réprobation (1 R 16.25-26). Achab d’Israël est pire que son père, mais ne subit aucun reproche avant l’intervention d’Elie (1 R 16.30-33).

Ces informations (et celles données dans 1 R 1–14) nous enseignent deux choses. D’une part, la maison de Juda est placée sous une grâce particulière en raison de l’alliance que Dieu a établie avec David (l’Eternel avait déjà promis à Salomon que son péché n’entraînerait pas la disparition de sa maison à cause de David ; cf. 1 R 11.11-13). D’autre part, les dynasties du royaume du nord sont instables, car elles marchent dans le péché de Jéroboam (rejet du culte centralisé à Jérusalem, rejet des sacrificateurs institués par l’Eternel) et aucune ne bénéficie d’une alliance semblable à la maison de David. Néanmoins, dans sa grâce, Dieu reporte souvent le jugement à une autre génération. Le péché de Jéroboam entraîne la disparition de sa maison durant le règne de son fils Nadab (1 R 14.9-16 ; 1 R 15.29-30). Le péché de Baécha entraîne la disparition de sa maison durant le règne de son fils Ela. Zimri se suicide et se punit avant que Dieu puisse lui témoigner sa grâce. Dans ce contexte, l’impunité totale d’Omri étonne, d’autant plus que ses péchés sont pires que ceux de ses prédécesseurs. Pourquoi le narrateur ne signale-t-il pas que le péché d’Omri sera puni à la prochaine génération ? Lorsque le lecteur est informé qu’Achab, fils d’Omri, va encore plus loin dans le mal que son père, le lecteur ne peut que s’attendre à un jugement rapide et sévère de la part de l’Eternel, car la patience de Dieu n’est quand même pas illimitée. L’intervention d’Elie répond partiellement à cette attente, mais elle étonne de plusieurs manières, comme nous allons l’exposer.

Dans tous les cas, l’apparition d’Elie tonifie le récit et lui redonne un dynamisme qu’il semblait perdre. Le lecteur qui somnolait se réveille, intrigué par une histoire haute en couleurs et riche en rebondissements. Au cœur du livre des Rois, l’auteur a placé les textes les plus passionnants de son ouvrage, ceux d’Elie et d’Elisée. Au travers de ces narrations, il développe ce qui lui tient le plus à cœur : la justice divine, intégrée dans le cadre temporel de la grâce.

Elie annonce la sécheresse (1 R 17.1)

Elie, le Thischbite, l'un des habitants de Galaad, dit à Achab : L'Eternel est vivant, le Dieu d'Israël, dont je suis le serviteur ! Il n'y aura ces années-ci ni rosée ni pluie, sinon à ma parole.

L’apparition d’Elie est brève et soudaine. Le narrateur n’indique ni l’arrière-plan du prophète, ni le lieu de la rencontre, ni la réaction du roi. Il ne dit pas si Elie a entrepris des démarches particulières pour approcher le roi, comme cela sera le cas trois ans plus tard (cf. 1 R 18.3-16). Il ne mentionne aucun appel divin. Cette omission est particulièrement intéressante, car le narrateur mentionne deux fois la parole de l’Eternel en rapport avec la fuite du prophète (1 R 17.2, 8). De plus, l’intervention des prophètes est souvent précédée d’un mandat divin dans le livre des Rois. On aurait tort toutefois de penser que l’annonce de la sécheresse s’oppose à la volonté divine, car Dieu retient la pluie selon la parole du prophète. Le narrateur cherche simplement à souligner, dans ce premier verset, la soudaineté de l’apparition d’Elie.

Le jugement peut paraître sévère, car Israël est privé non seulement de la pluie, mais aussi de la rosée, très abondante dans cette région. Ainsi, les deux sources d’humidité sont coupées simultanément. L’épreuve est illimitée, puisque seule la parole du prophète suspendra le jugement. Faudra-t-il attendre un an, deux ans, dix ans ou davantage ? Personne n’en est informé.

En réalité, le jugement est modéré au vu des péchés commis, car Achab méritait au moins de perdre sa descendance comme Jéroboam et Baécha (qui étaient allés moins loin que lui dans le péché). Achab aurait pu être frappé par la foudre céleste. Au lieu de cela, le roi est averti (Elie lui annonce le jugement à venir), et le jugement est progressif et n’affecte que faiblement les hommes au début. Certes, la limite du jugement n’est pas fixée, mais un terme peut être envisagé, puisque la pluie reviendra sur simple parole du prophète. Dieu donne ainsi au roi un temps de grâce pour se repentir. L’intensité progressive du jugement l’invite même à s’examiner de plus en plus. Au premier signe de repentance, le roi, faiblement puni par Dieu, peut espérer voir la sécheresse prendre fin.

Le jugement est directement lié au péché commis. Le peuple est privé de pluie puisque Israël adore Baal, la divinité de la pluie et de la fertilité (voir page 60, en particulier la note 11). Flavius Josèphe atteste cette sécheresse chez l’auteur grec Ménandre.

Elie envoyé au torrent de Kérith (1 R 17.2-7)

2 Et la parole de l'Eternel fut adressée à Elie, en ces mots : 3 Pars d'ici, dirige-toi vers l'orient, et cache-toi près du torrent de Kerith, qui est en face du Jourdain. 4 Tu boiras de l'eau du torrent, et j'ai ordonné aux corbeaux de te nourrir là. 5 Il partit et fit selon la parole de l'Eternel, et il alla s'établir près du torrent de Kerith, qui est en face du Jourdain. 6 Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande le matin, et du pain et de la viande le soir, et il buvait de l'eau du torrent. 7 Mais au bout d'un certain temps le torrent fut à sec, car il n'était point tombé de pluie dans le pays.

Comment Achab a-t-il réagi à la parole d’Elie ? Avec crainte, colère, scepticisme ou mépris ? Comment le peuple a-t-il survécu à la sécheresse ? Quelles souffrances et privations a-t-il subies ? Le lecteur ignore tout du roi et du peuple, car le narrateur les abandonne à leur sort et concentre son attention sur Elie. En cela, le narrateur agit exactement comme l’Eternel, qui livre Israël et son roi au jugement, mais choie son prophète.

En concentrant toute l’attention sur les soins prodigués à Elie plutôt que sur les souffrances du peuple, le narrateur privilégie la grâce et non le jugement et s’identifie une fois encore au dessein premier de Dieu qui, même en ce temps de jugement, reste miséricordieux. Il faut dire qu’Elie aurait particulièrement souffert de la sécheresse sans l’intervention miraculeuse de Dieu, car la vie d’un fugitif, déjà difficile en temps normal, devient impossible lors d’une famine.

Dieu guide et soutient Elie. Pour commencer, il lui ordonne de se réfugier au torrent de Kerith. « Plusieurs torrents ont creusé leur passage jusqu’au Jourdain au travers de gorges découpées. Ces gorges, bordées de nombreux recoins et de cavernes, pouvaient aisément servir de lieu de refuge au prophète ». Traditionnel­lement, ce lieu est identifié avec le Wadi Kelt à l’ouest du Jourdain, mais plusieurs commentateurs penchent pour une région à l’est du Jourdain, en dehors de la juridiction d’Achab. Le thème de la bénédiction en dehors de la Terre promise est certainement développé par la suite.

Le départ d’Elie est commandé par Dieu. Ce fait ne devra pas être oublié lorsqu’on analysera la fuite d’Elie devant les menaces de Jézabel en 1 R 19.3, car ce comportement du prophète est souvent critiqué par les commentateurs. Dieu est tout-puissant, mais cette toute-puissance ne s’exprime pas, pour l’instant, contre les méchants. Elie doit donc assurer sa protection par la fuite et Dieu le guide dans ce projet. La situation sera différente sous le règne d’Ahazia, lorsque Elie pourra envoyer le feu du ciel sur les soldats venus l’arrêter (2 R 1.10, 12).

La toute-puissance divine est manifestement à l’œuvre, mais exprime prioritairement la grâce. Des corbeaux apportent du pain et de la viande, matin et soir. Le miracle est notoire : des oiseaux, et même des corbeaux, connus pour être des voleurs, viennent, en nombre (car chacun ne peut transporter qu’une dizaine de grammes), ravitailler le prophète, deux fois par jour, durant de nombreux jours. Le prodige étonne autant par le genre d’animaux impliqués, que par leur nombre et la durée de leur « ministère ». Elie voit quotidiennement Dieu à l’œuvre et bénéficie de son soutien, alors que le peuple est ignoré de Dieu et ne voit qu’un jugement discret (l’absence de pluie).

Elie est béni de Dieu, mais certains trouveraient sa situation inconfortable, car la nourriture est distribuée au compte-gouttes. Le prophète reçoit sa ration alimentaire, repas après repas. Aucun moyen de constituer des réserves, même si plusieurs dizaines de corbeaux participent au ravitaillement. Elie dépend totalement de Dieu. Une telle situation peut se vivre dans la paix, dans la mesure où l’on fait totalement confiance à la parole divine. Elie peut même jouir d’un certain luxe, comme l’atteste la présence de la viande, jouissance d’autant plus grande qu’elle était un privilège et non un acquis.

On peut faire confiance à Dieu que cette viande n’est pas quelconque, mais provient d’animaux purs. Les corbeaux ne l’ont donc pas prélevée sur des cadavres d’animaux sauvages, mais l’ont vraisemblablement dérobée du garde-manger des riches, peut-être même de la table d’Achab, car qui d’autre peut manger de la viande en temps de famine ?

En contraignant les corbeaux à exécuter sa volonté et à faire ce que naturellement ils ne font pas, Dieu démontre sa souveraineté sur la nature. Manifestement, le Dieu de la nature n’est pas Baal, mais l’Eternel.

Dieu agit pour Elie comme il l’a fait pour Israël, du temps de Moïse. Le peuple élu était nourri miraculeusement, chaque jour, dans le désert, par de la manne qui ressemblait à du pain (Ex 16.4, 31), et par des oiseaux qui servaient, non la nourriture, mais de nourriture, non pas deux fois par jour, mais à deux reprises (Ex 16 :8, 13 ; Nb 11.18-32). Dieu témoigne de sa présence à Elie comme il l’avait fait à Israël lors de l’exode, peut-être même plus, car Elie reçoit la viande sur initiative divine, et non comme réponse aux murmures désapprobateurs du peuple.

Les commentateurs font souvent allusion au vécu d’Elie : on souligne son humilité, sa confiance ou sa foi éprouvée, les leçons spirituelles à apprendre, l’endurance et le courage qui devaient être développés chez le prophète. Plusieurs de ces remarques sont stimulantes et probablement vraies, mais il convient de noter que l’auteur n’en relève aucune. Le récit ne souligne ni l’apprentissage d’Elie ni son vécu, mais seulement l’intervention divine. Le narrateur fixe l’attention exclusivement sur l’Eternel, car c’est la connaissance de Dieu qui est fondamentale.

« Au bout d’un certain temps, le torrent fut à sec. » Les choses naturelles arrivent à terme, contrairement aux choses liées à la parole divine. Les corbeaux continuent à ravitailler le prophète, alors que l’eau du torrent cesse de couler, car aucun ordre divin ne la contraint de faire autrement.

Elie envoyé chez une veuve de Sarepta (1 R 17.8-16)

8 Alors la parole de l'Eternel lui fut adressée en ces mots : 9 Lève-toi, va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et demeure là. Voici, j'y ai ordonné à une femme veuve de te nourrir. 10 Il se leva, et il alla à Sarepta. Comme il arrivait à l'entrée de la ville, voici, il y avait là une femme veuve qui ramassait du bois. Il l'appela, et dit : Va me chercher, je te prie, un peu d'eau dans un vase, afin que je boive. 11 Et elle alla en chercher. Il l'appela de nouveau, et dit : Apporte-moi, je te prie, un morceau de pain dans ta main. 12 Et elle répondit : L'Eternel, ton Dieu, est vivant ! je n'ai rien de cuit, je n'ai qu'une poignée de farine dans un pot et un peu d'huile dans une cruche. Et voici, je ramasse deux morceaux de bois, puis je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons. 13 Elie lui dit : Ne crains point, rentre, fais comme tu as dit. Seulement, prépare-moi d'abord avec cela un petit gâteau, et tu me l'apporteras ; tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils. 14 Car ainsi parle l'Eternel, le Dieu d'Israël : La farine qui est dans le pot ne manquera point et l'huile qui est dans la cruche ne diminuera point, jusqu'au jour où l'Eternel fera tomber de la pluie sur la face du sol. 15 Elle alla, et elle fit selon la parole d'Elie. Et pendant longtemps elle eut de quoi manger, elle et sa famille, aussi bien qu'Elie. 16 La farine qui était dans le pot ne manqua point, et l'huile qui était dans la cruche ne diminua point, selon la parole que l'Eternel avait prononcée par Elie.

Les événements à Sarepta confirment ceux du torrent de Kérith. Dieu y donne un deuxième témoignage du soutien exceptionnel accordé au prophète. Les mêmes éléments s’y retrouvent : (1) Dieu guide Elie vers un lieu de retraite ; (2) il pourvoit miraculeusement à ses besoins matériels ; (3) le miracle se répète quotidiennement durant de nombreux jours ; (4) la nourriture disponible est suffisante pour un repas, mais elle empêche Elie de constituer des réserves.

Les différences entre les deux récits sont mineures et ne soulignent que mieux la leçon générale, à savoir que Dieu pourvoit quotidiennement aux besoins de son prophète. La souveraineté divine n’est diminuée ni par le lieu géographique, ni par les moyens disponibles. Le torrent de Kérith est situé au sud-est du royaume d’Israël, alors que Sarepta est au nord-ouest. Lors du premier récit, Dieu domine sur le monde animal, et lors du second, sur la matière végétale (la farine et l’huile). Elie reçoit d’abord deux aliments (du pain et de la viande), puis des gâteaux, composés de deux éléments. Après ses repas à Kerith, Elie ne disposait de rien, alors qu’à Sarepta, il dispose de juste assez de nourriture pour préparer un autre repas. A Kerith, il est seul, entouré uniquement d’animaux, alors qu’à Sarepta, il est à l’étranger, entouré d’une famille d’inconnus réduite à sa plus simple expression. Par ces deux situations proches et néanmoins différentes, l’Eternel démontre sa souveraineté aussi bien à l’est qu’à l’ouest d’Israël, au sud qu’au nord, face au monde animal ou aux objets inanimés.

Dieu ordonne à Elie de quitter Kerith lorsque le torrent est à sec, mais pas avant. Aucune direction anticipée n’est offerte à Elie. Il doit vivre dans une totale dépendance de Dieu, au jour le jour. On peut imaginer les doutes qui auraient assailli plus d’un fidèle face à la diminution d’eau dans le torrent. Le narrateur ne mentionne rien des états d’âme du prophète. A-t-il douté ? Est-il resté ferme ? Si l’on se base, non sur la réaction naturelle des hommes, mais sur le comportement d’Elie dans d’autres situations, il est raisonnable de penser qu’Elie a vécu le tarissement progressif du torrent dans la foi, car à aucun autre moment, Elie ne semble douter de la grâce divine à son égard. Son problème, si on peut l’appeler ainsi, a été de comprendre toute la patience de Dieu à l’égard des méchants (cf. 1 R 19).

Dieu guide Elie à Sarepta, port méditerranéen situé sur un promontoire entre Tyr et Sidon, à une dizaine de kilomètres au sud de Sidon, capitale du royaume de Jézabel. Elie est donc envoyé au cœur du territoire de Baal. Est-ce pour montrer que la famine sévit même dans le territoire « béni » par la divinité de la fertilité, ou pour montrer que l’Eternel est souverain même dans ce territoire, puisqu’il y a multiplié la nourriture du prophète ? Est-ce pour mieux soustraire Elie aux recherches « internationales » entreprises par Achab ou pour se moquer de ces recherches, car qui aurait pensé trouver Elie si près de la capitale d’où Jézabel était originaire ? (cf. 1 R 18.10 « Il n'est ni nation ni royaume où mon maître n'ait envoyé quelqu'un pour te chercher. »)

Les indications de l’Eternel sur la femme qui doit héberger Elie sont réduites à leur plus simple expression : « A Sarepta… j’ai ordonné à une veuve de te nourrir. » Comment trouver cette personne, car il devait y avoir plus d’une veuve dans la ville ? Le narrateur omet-il certaines informations données au prophète, ou bien Elie comprend-il que l’Eternel l’envoie vers quelqu’un de très démuni (c’est souvent le cas des veuves) pour mieux démontrer le soutien divin, une personne qui sera prête aussi à donner tout ce qu’elle possède, puisque l’Eternel a ordonné à cette femme de le nourrir, tout comme il avait ordonné (c’est le même verbe) aux corbeaux de le nourrir ? Dès qu’Elie voit une veuve, reconnaissable peut-être à son habit de deuil, le prophète teste la personne. Est-elle serviable ? Il lui demande d’abord de l’eau, puis devant la promptitude à le servir, il sollicite de la nourriture. Il va même jusqu’à lui demander de lui servir l’unique gâteau qu’elle peut préparer, tout en lui assurant qu’elle aura de quoi en faire un autre, et même plusieurs, pour elle et son fils. La femme s’exécute et prouve ainsi qu’elle est la personne choisie par l’Eternel.

Dieu est souverain, mais sa souveraineté ne signifie pas passivité humaine. Elie est dirigé par l’Eternel, mais il n’est pas un automate. Il doit réfléchir et méditer la parole de l’Eternel pour la mettre en pratique. La femme est commandée par Dieu pour servir Elie, mais cela n’enlève rien à son mérite d’avoir obéi à l’Eternel. Jésus la cite en exemple pour son engagement (Luc 4.25-26). Bien que veuve, dépourvue de tout et réduite à la misère, apparemment sans entourage, mère d’un seul enfant de santé précaire, la femme témoigne de qualités spirituelles remarquables, qui font d’elle un exemple pour Israël.

On peut s’étonner de l’assurance du prophète à annoncer en détail la manière dont le miracle se déroulera. Dieu le lui a-t-il indiqué sans que le narrateur n’en informe le lecteur ? Ou Elie raisonne-t-il par analogie, sachant que les faibles ressources sont multipliées indéfiniment avec l’Eternel ? Les deux réponses ne s’excluent pas : la direction des hommes de Dieu est souvent mystérieuse, car l’Eternel guide souverainement sans toutefois gommer la personnalité et la raison des individus.

Au verset 16, le narrateur insiste sur la solidité de la parole divine, que le temps n’efface jamais. Les exilés, premiers lecteurs du livre des Rois, devaient tirer profit de telles leçons. Même en terre d’exil, l’Eternel pourvoit aux besoins de ses fidèles, quelle que soit la durée de l’épreuve.

« Elle eut de quoi manger, elle et sa famille. » Avant l’arrivée d’Elie, la femme est seule avec son fils, mais après la mention du miracle, la famille est mentionnée. De même, au verset 17, la veuve est appelée la « maîtresse de maison ». Il est possible que la parenté et les voisins, qui avaient délaissé la pauvre veuve, se soient rapprochés d’elle à l’annonce des gâteaux qui garnissaient chaque jour sa table. Comme le dit un proverbe : « Le pauvre est odieux même à son ami, mais les amis du riche sont nombreux » (Pr 14.20).

Elie ressuscite le fils de la veuve (1 R 17.17-24)

17 Après ces choses, le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut si violente qu'il ne resta plus en lui de respiration. 18 Cette femme dit alors à Elie : Qu'y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ? 19 Il lui répondit : Donne-moi ton fils. Et il le prit du sein de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit. 20 Puis il invoqua l'Eternel, et dit : Eternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j'ai été reçu comme un hôte ? 21 Et il s'étendit trois fois sur l'enfant, invoqua l'Eternel, et dit : Eternel, mon Dieu, je t'en prie, que l'âme de cet enfant revienne au-dedans de lui ! 22 L'Eternel écouta la voix d'Elie, et l'âme de l'enfant revint au-dedans de lui, et il fut rendu à la vie. 23 Elie prit l'enfant, le descendit de la chambre haute dans la maison, et le donna à sa mère. Et Elie dit : Vois, ton fils est vivant. 24 Et la femme dit à Elie : Je reconnais maintenant que tu es un homme de Dieu, et que la parole de l'Eternel dans ta bouche est vérité.

Ce troisième récit marque une progression par rapport aux précédents. Au torrent de Kerith, Elie est seul à profiter du miracle des corbeaux. A Sarepta, la multiplication de la farine et de l’huile permet de nourrir non seulement le prophète, mais aussi sa famille d’accueil. Maintenant, Elie n’est même plus bénéficiaire du miracle, mais sert uniquement d’agent.

Une progression s’observe aussi dans le domaine du miraculeux. Les interventions divines sont de plus en plus exceptionnelles. Le miracle des corbeaux est unique, mais il reste dans le domaine du « naturellement possible ». Il arrive en effet que des animaux aient un comportement étrange. Par contre, le miracle de la farine et de l’huile défie toutes les lois de la physique. Quant à la résurrection du fils, elle marque la victoire sur la plus grande épreuve à laquelle l’homme est confronté : la mort. Les deux premiers miracles rappellent d’autres interventions divines, lorsque Dieu nourrissait miraculeusement son peuple au désert, mais la résurrection du fils de la veuve est une première. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, un homme n’était ressuscité d’entre les morts.

Ce troisième récit est aussi le premier dans lequel le narrateur exprime les sentiments de ses personnages. La femme exprime son désarroi mêlé de reproches : « Qu'y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ? » (1 R 17.18). Elie fait connaître son étonnement : « Eternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j'ai été reçu comme un hôte ? » (1 R 17.20). A la fin du récit, la femme verbalise sa foi : « Je reconnais maintenant que tu es un homme de Dieu, et que la parole de l'Eternel dans ta bouche est vérité » (1 R 17.24). Dans les récits précédents, seul le deuxième insinuait une hésitation de la veuve (Elie l’avait encouragée à ne rien craindre : 1 R 17.13).

La narration de la résurrection est aussi le premier récit dans lequel Elie prie et s’adresse à Dieu. C’est aussi le seul des trois dans lequel l’Eternel n’adresse aucune parole au prophète, mais se contente d’écouter sa voix. Le contact entre Elie et les gens évolue aussi. Au début, Elie n’a aucun contact avec les hommes, puisque les corbeaux sont sa seule compagnie. A Sarepta, Elie loge enfin chez des humains, mais il semble prendre ses repas en solitaire. Lors du troisième récit, Elie va enfin avoir un contact prolongé avec un être humain, puisqu’il se couche « de tout son long », « à trois reprises », sur le corps de l’enfant.

Les paroles de la femme sont peut-être la plus claire expression d’une progression, puisqu’elle dit à l’issue de l’intervention d’Elie que « maintenant » elle croit (1 R 17.24). La notion de « progression » est fondamentale dans les récits d’Elie. Les choses ne sont pas statiques, mais évoluent (au contraire des récits d’Elisée où toutes choses arrivent immédiatement à la perfection). Par les trois premiers récits d’Elie, le narrateur fait clairement ressortir cette notion de progression, qui est liée, en général, à la notion du temps qui s’écoule et au rapport entre la grâce et le jugement.

Ayant situé ce texte dans son contexte, il convient de s’interroger sur son sens. Les interrogations, aussi bien de la femme que d’Elie, tournent autour de la question du jugement. La veuve pense que la mort de l’enfant est liée à son péché (« Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ? » 1 R 17.18), peut-être parce que Elie est perçu comme le prophète du jugement. Quant à Elie, il s’étonne du jugement qui frappe sa famille d’accueil (1 R 17.20). Comment Dieu pourrait-il punir la personne qui l’héberge ? Elie ne pense pas que la veuve est parfaite (car tout homme est pécheur à l’exception du Christ : cf. Rom 3.9-20 ; Hé 4.15), mais il refuse l’idée que le jugement puisse commencer par cette femme qui a montré tant d’empressement à l’accueillir. Certes, Elie est le prophète du jugement : il dénonce le mal et proclame les jugements divins. Sa présence peut être une menace pour les méchants, mais les justes n’ont rien à craindre de lui. En fait, la proximité du prophète est même une bénédiction pour les justes. La présence d’Elie assure la nourriture à la veuve et à son fils. Mieux encore : le contact prolongé avec le prophète donne la vie ; Elie transporte l’enfant décédé dans sa chambre, puis s’étend de tout son long sur lui.

La leçon spirituelle de ce récit, à savoir que la présence d’Elie n’est pas une source de mort pour les fidèles, mais une source de vie, n’est révélée qu’à quelques témoins. La femme a vu son enfant mort être emporté dans la chambre du prophète, puis elle a vu son fils en ressortir vivant. Elle ignore que le prophète a prié, puis qu’il s’est couché sur l’enfant, mais peu importe. Ce qu’elle a vu lui permet de conclure qu’Elie est un prophète de Dieu. On peut d’ailleurs s’étonner de ce que la femme ne soit pas arrivée à cette conclusion plus tôt, en voyant la farine et l’huile se multiplier repas après repas. La veuve ne pouvait pas ne pas être frappée par le miracle, mais elle ne se sentait peut-être qu’indirectement concernée par l’intervention divine. Le miracle avait pour but premier de satisfaire les besoins alimentaires du prophète. Certes, la veuve et son fils en profitaient aussi, mais uniquement comme « domestiques » du prophète. La résurrection du fils transmet un autre message. La femme et son fils sont les premiers (et les seuls) bénéficiaires du miracle. Quand la veuve affirme « Je reconnais maintenant que tu es un homme de Dieu », elle n’énonce pas une évidence intellectuelle, mais exprime une conviction profonde. Le Dieu d’Elie est devenu le Dieu qui s’intéresse à sa vie.

Les détails de la résurrection ne sont connus que d’Elie. Manifestement, il a dû les communiquer ultérieurement à d’autres fidèles, en particulier au premier narrateur. L’auteur des Rois reprendra ces récits pour les inclure dans son œuvre et les transmettre (avec ou sans adaptations mineures) à la génération des exilés. Ceux-ci, comme tous les lecteurs ultérieurs, pourront pleinement profiter des leçons privées d’Elie : l’homme qui s’attache aux prophètes sera guéri, et plus son contact sera étroit, plus sa vie sera transformée.

Il convient encore de relever que les premiers à accueillir Elie et à jouir de la bénédiction divine sont deux païens. Quelle leçon pour Israël ! Si Dieu a béni deux païens qui ont accueilli son prophète, à combien plus forte raison bénira-t-il son peuple élu, si celui-ci s’attache à lui. Israël ne pourrait-il pas avoir le discernement de la femme et reconnaître l’auteur de la vie ?