Commentaire sur Elie: Préface
Elie étonne et déconcerte. Le fugitif traqué à mort pendant tout son ministère est l’un des deux seuls hommes à n’avoir pas dû mourir (cf. Ge 5.24 ; Hé 11.5 ; 2 R 2.11). L’homme, qui a osé défier publiquement quatre cent cinquante prophètes de Baal, s’enfuit devant les menaces d’une femme (1 R 19.2-3). Ce même homme, découragé par Jézabel au point de perdre tout goût à la vie, est pourtant capable d’envoyer le feu du ciel, par une simple parole, pour détruire deux groupes de cinquante soldats venus l’arrêter (2 R 1.10, 12).
Elie est le prophète du jugement. Il critique, égorge et commande au feu de descendre sur les hommes qui adorent les divinités. Il est pourtant aussi celui qui s’étonne du jugement de Dieu, lors du décès d’un enfant païen (1 R 17.20). Elie intercède, alors, de tout son être (et même de tout son corps), pour amener la première résurrection de l’histoire de l’humanité.
Son rapport avec la nourriture est tout aussi étonnant. Elie provoque une famine en Israël, mais nourrit ensuite deux étrangers. Quant à sa propre subsistance, elle est pourvue par Dieu qui multiplie les miracles pour le secourir : des corbeaux lui apportent du pain et de la viande, matin et soir ; l’huile et la farine se multiplient repas après repas chez une veuve qui héberge le prophète ; le double gâteau fourni par un ange lui donne la force de marcher pendant quarante jours et quarante nuits (1 R 19.5-8).
Les mystères entourant Elie ne s’arrêtent pas à sa vie terrestre, puisque Malachie, le dernier prophète de l’Ancien Testament, en annonce un nouveau ministère : « Voici, je vous enverrai Elie, le prophète, avant que le jour de l'Eternel arrive… » (Mal 4.5-6 ou 3.23-24). Ainsi, à l’époque du Nouveau Testament, les Juifs attendent le retour d’Elie (Mc 9.11). Jean-Baptiste et Jésus sont identifiés avec Elie (Mt 11.14 ; Lc 1.17 ; Mt 16.14), mais refusent tous deux cette identification (Jn 1.21, 25 ; Mt 16.15-17). Elie apparaît enfin au mont de la Transfiguration, dans une vision insolite (Mt 17.3-4).
Elie est un personnage complexe. Certains ont vu en lui l’exemple de l’homme humble, courageux, obéissant et rempli de foi, alors que d’autres l’estiment orgueilleux, craintif, dépressif, désobéissant et rempli de doutes. Faut-il privilégier, dans une évaluation de l’homme, la confrontation victorieuse contre les prophètes de Baal ou la fuite devant Jézabel ? Car Elie est connu autant pour sa force de caractère que pour sa dépression. De nombreux prédicateurs « psychologues » se sont efforcés d’analyser cette ambivalence du prophète, apparente ou réelle, mais les explications avancées reflètent davantage un souci d’illustrer le phénomène moderne de la dépression qu’une rigueur exégétique.
Elie semble appartenir à un autre monde, mais en même temps, l’épître de Jacques nous rappelle qu’il « était un homme de la même nature que nous » (Ja 5.17). Peut-être est-ce pour cette double raison qu’Elie a inspiré de nombreux prédicateurs. Les fidèles se sentent proches de cet homme en raison de sa faiblesse et, en même temps, ils discernent en lui un homme d’exception duquel ils pourraient tirer des leçons sur la puissance de la foi. Ainsi, Elie a suscité plus d’études que la plupart des autres personnages de l’Ecriture.
Ce commentaire s’appuie, bien sûr, sur les études antérieures, mais il s’en distingue aussi par sa démarche herméneutique. Tout au long de l’analyse, les différents récits sont interprétés à la lumière de l’ensemble. Les narrations attachées au ministère d’Elie forment un tout (1 R 17 à 2 R 2). Ces textes ne sont pas juxtaposés de manière lâche, mais constituent une unité littéraire, dans laquelle chaque récit s’intègre harmonieusement.
Les récits d’Elie s’incorporent aussi à l’ensemble de 1–2 Rois. L’auteur de ces deux livres (qui n’en formaient qu’un à l’origine) développe certains thèmes et c’est aussi à la lumière de ces thèmes que les textes d’Elie doivent être lus. Finalement, le ministère d’Elie doit être interprété en tenant compte d’un contexte plus large encore, celui de toute l’Ecriture. En particulier, on gagne à lire Elie à la lumière de Moïse, que le prophète rappelle, et à la lumière de Jean-Baptiste et de Jésus, qu’Elie annonce.
Si l’approche globale est indispensable pour comprendre correctement le texte et éclaircir certaines énigmes du ministère d’Elie, une attention à la dimension narrative des récits est importante, elle aussi. En d’autres termes, il ne faut pas seulement s’intéresser à ce que le texte dit, mais aussi à la manière dont il le dit. Les silences, les aspects soulignés, les répétitions, les interrogations suscitées par l’auteur sont autant d’éléments auxquels le lecteur doit être attentif. Par exemple, pourquoi le narrateur ne fait-il pas précéder l’annonce de la sécheresse d’un mandat de l’Eternel (1 R 17.1), mais mentionne-t-il la parole de l’Eternel en relation avec la fuite du prophète au verset suivant ? Pourquoi s’étend-il sur la manière dont Elie rencontre Achab à la fin de la sécheresse (1 R 18.2-15), mais omet-il les circonstances entourant la première rencontre avec le roi (1 R 17.1) ? Interpréter correctement un texte, c’est aussi prendre en considération ces éléments narratifs.
Pour aider le lecteur à saisir la vision « globale » du ministère d’Elie, le commentaire du texte est précédé d’une introduction substantielle contenant des développements sur les caractéristiques d’Elie (chapitre 1), le contexte littéraire, historique et religieux du ministère d’Elie (chapitre 2), le message et la structure du livre des Rois (chapitre 3). De plus, l’analyse de chaque chapitre des Rois est précédée de quelques remarques soulignant les liens et les contrastes avec les récits antérieurs.
Le lecteur peu familier avec l’histoire d’Elie devrait commencer par lire, dans la Bible, les chapitres consacrés au prophète (1 Rois 17 à 2 Rois 2). Il peut aussi entamer la lecture du présent ouvrage avec la partie commentaire (p. 79). Quant aux autres lecteurs, ils peuvent indifféremment commencer avec l’un des trois chapitres de l’introduction, selon qu’ils désirent d’abord se pencher sur le prophète (chapitre 1 p. 15), sur le contexte de son ministère (chapitre 2 p. 57) ou sur le livre des Rois qui rapporte ces récits (chapitre 3 p. 67).